Lauréat de l’Ours d’or à la Berlinale 2024, Dahomey de Mati Diop est une œuvre d’une grande imagination cinématographique. Pour célébrer l’arrivée de ce documentaire hybride prismatique, la cinéaste française a sélectionné trois courts métrages éblouissants qui engagent une conversation avec son long métrage envoûtant.

You Hide Me (Nii Kwate Owoo, 1970)

« Tourné au British Museum en 1970, You Hide Me est le film de fin d’études d’un Ghanéen de 26 ans. En regardant ce manifeste pour la première fois, je n’ai cessé de me demander comment le réalisateur Nii Kwate Owoo avait réussi à accéder aux réserves souterraines du musée qui abritent 70 000 artefacts africains, en sachant à quel point elles étaient inaccessibles. Je me suis moi-même vu refuser l’accès à celles du Quai Branly pour le tournage de Dahomey cinquante ans plus tard. En fait, c’est là le véritable tour de force du film : en ne dévoilant pas ces négociations à l’écran, le cinéaste offre au spectateur un espace pour spéculer sur la présence de ces deux corps noirs en ces lieux, aussi réels qu’un mirage. Au bout du compte, cette performance cathartique agit sur notre inconscient, nous invitant à transgresser les conduits limités et pourtant infinis de l’imagination. »

L’avance (Djiby Kebe, 2024)

« Certains films représentent de véritables tournants dans l’histoire du cinéma. Pour moi, L’avance n’est pas seulement un premier court métrage ; c’est aussi le point de départ d’une nouvelle génération d’Afro-descendants qui ont enfin accès à des domaines autrefois réservés aux personnes blanches. C’est à Paris, où il est né, que Djiby Kebe a dressé en vingt minutes ce portrait hyperlucide d’un jeune artiste (inspiré par Kebe lui-même) évoluant dans un monde artistique assoiffé du sang de jeunes Noirs. Une scène qui m’a particulièrement touchée montre Aliou, le protagoniste en question, rencontrer un ami de son quartier lors du tournage d’une vidéo TikTok. Celui-ci lui demande qui il est vraiment. Aliou lui répond qu’il l’ignore et qu’il cherchera la réponse à cette question pour le restant de ses jours. L’avance marque l’arrivée de l’antihéros " glissantien " — du nom du poète et philosophe martiniquais Édouard Glissant — dans le cinéma français contemporain. »

Atlantiques (Mati Diop, 2009)

« Atlantiques est le premier court métrage que j’ai tourné à Dakar. J’y filme Serigne, un jeune homme qui vient d’être rapatrié d’Espagne après avoir bravé une traversée depuis la côte sénégalaise. Il partage pour la première fois son épopée avec ses deux amis (Alpha et Cheikh, mon cousin) qui essaient par tous les moyens de le convaincre de rester. Mais Serigne est déjà parti. Il était déterminé à reprendre la mer coûte que coûte. Au moment où j’ai choisi de déplacer mon cinéma de Paris à Dakar, une génération entière fuyait le pays par bateau dans la direction opposée, c’est-à-dire vers l’Europe, et plusieurs n’atteignirent jamais leur destination. J’ai compris bien plus tard que nous étions tous sous l’emprise d’un sortilège qui refusait de dire son nom. »